tête à tête
Vous êtes insupportable, là devant moi, avec votre regard étrangement
triste, vous vous étirez, tendez vos mains si délicates, pour enfin
croiser mon regard et me sourire, j'observe le plus discrètement
possible combien vos doigt sont désordonnées, indépendants, vous
écrivez le poignet en u retournant votre main droite vers vous, comme
si vous étiez gauchère.
Vous lisez un cours d'anatomie, et vos doigts courent sur votre corps,
comme si vous étiez un miroir de cet ouvrage en braille, cherchant
dans la réalité de votre chaire, les mots que vous découvrez. Je vois
maintenant écris partout sur vous ces poétiques racines grec,
métacarpe, cubitus... Mais parfois à deux mains vous agissez sans plus
de délicatesse, et torturez votre anatomie, comme pour mieux la
dominer. Vos vous efforcer de dévisser votre tête, la punissant de je
ne sais quelle méconduite, et je sens mon propre coup lâcher prise à
son tour... Je les imagine nos deux tête, séparée de nos corps, elle
se rencontrent et s'observent, elles se parlent, sans pudeur,
débarrassées de leurs instincts, et réalisent bientôt l'absurdité de
la situation, s'éveillent à un degrés de conscience si élevée en si
peut de temps, qu'elles décident de cesser sur le champs d'activer
leur fonction vitale.
Heureusement, nous avons nos corps, leur désir, leur crispation, leur
sensation, pour nous aveugler, et continuer la course des jours. Ces
corps qu'il nous faut dompter, dominer, pour en éteindre presque la
réalité, pour le vivre ensemble. Mon corps polissé, n'ose vos
regarder, vous toucher, vous parler, il se contente de vous rêver,
vous imaginer, vous raconter.
Un mélange troublant de sensualité et de naïveté émane de vous, un
coté vielle France dans vos traits et vos attitudes, avec quelques
pointes de rudesse, sur votre pull vous venez de passer un foulard
affreux, chipé à votre grand mère sans doute, vous l'avez noué en
cravate, et ses couleurs bleu et or, ses plis réguliers en soufflet,
vous vont à merveille. Je n'arrive pas à définir les régions de vos
traits, les taches de rousseurs nous amènent dans l'Ouest de la
France, mais vos lèvres ourdies sont méditerranéennes, vous pommettes
hautes pourraient signaler un peut de sang slave. Mais se sont vos
yeux qui restent l'énigme, immenses, et vert d'eau, doux et absents,
ils deviennent un instant intenses, le temps d'un sourire que vous
m'adressez...
Le train entre en gare, j'ai passé en votre compagnie un moment
merveilleux.
(texte "live" Patrick Ladislav)